Sortie au théâtre Anthéa des 3eA et des 3eC Inconnu à cette adresse : l’art et le devoir de mémoire

Inconnu à cette adresse raconte l’amitié quasi fraternelle entre deux marchands d’art, Max Eisenstein, un Juif américain, et Martin Schulse, un Allemand. En 1932, Martin retourne en Allemagne et les deux amis échangent des lettres sur leur commerce. Peu à peu, la montée du nazisme influence leur relation, Martin adoptant les thèses hitlériennes et s’éloignant de Max. À travers vingt lettres (1932-1934), la nouvelle exprime la trahison d’une amitié et une vengeance implacable, tout en reflétant la montée du nazisme. L’auteure américaine Kressmann Taylor (1903-1996) a sans doute été la première étonnée du succès de sa
nouvelle publiée dans la revue Story Magazine en 1938 et adaptée au cinéma en 1944. Réédité en 1995 pour le 50ème anniversaire de la libération des camps, traduit alors en vingt langues, Inconnu à cette adresse est depuis devenu un classique, un ouvrage simple et lumineux qui aide à comprendre et apprend à vivre.
Présentée lors de la période du confinement, puis la saison suivante, la lecture mise en espace par Daniel Benoin, accompagné de Michel Boujenah, est aujourd’hui un spectacle à part entière

Extrait
Une des lettres dans laquelle Max Eisenstein exprime son incompréhension et sa douleur face à
la transformation de son ami Martin Schulse. Ce passage reflète la désillusion et la tristesse ressenties lors de la rupture de liens si profonds, une des grandes forces émotionnelles du roman.
Max à Martin, le 3 septembre 1933
« Mon cher vieux Martin,
J’ai lu ta dernière lettre avec un serrement de cœur. Comment cela est-il possible ? Toi, Martin,
mon vieil ami, mon frère d’âme, tu te laisses aveugler par ces idées de persécution ? Voilà donc
où tu en es ? Tu me dis que les Juifs sont des parasites, qu’ils ne méritent pas de vivre ? Moi,
Max, ton ami de toujours, je suis Juif. Ma sœur est Juive. Nous avons partagé tant de choses, Martin.
Comment peux-tu te détourner de moi maintenant ? Est-ce que tu réalises seulement ce
que tu dis ? Comment peux-tu croire à ces absurdités qui justifient la haine ? Cela me paraît
tellement incroyable que je ne peux pas croire que tu sois sérieux. Est-ce donc cette Allemagne
nouvelle qui te change ainsi, ou bien te servais-tu déjà de ces idées comme une excuse pour te
distancier de moi ? Je t’en prie, Martin, reviens à la raison. Souviens toi de ce que nous étions avant tout cela, avant que la politique ne nous sépare. Tu dis que je ne peux pas comprendre, que je suis trop loin des
réalités de ton pays. Mais ce que je vois, c’est un ami qui se laisse emporter par un vent de folie. Ne
laisse pas cette haine te dévorer, Martin.

Les 3eC et 3eA ont pu éprouver leur devoir de mémoire grâce à ce spectacle artistique et culturel, une lecture mise en espace par Daniel Benoin, le directeur d’Anthéa, qui donne à dire l’indicible, et qui n’est pas seulement un acte de justice pour les survivants ; il est aussi un rempart contre l’oubli et un engagement à prévenir la répétition de telles atrocités. Reconnaître la souffrance des victimes est un pas vers la reconstruction des individus, des communautés et des sociétés entières après des crises profondes.
L’art, et notamment la littérature, entre en jeu. En recréant l’indicible dans l’imaginaire, en le transposant dans un univers fictif, la littérature parvient à rendre palpable ce qui, dans la réalité, semble
inconcevable et « non crédible ». L’imaginaire devient alors une passerelle vers la compréhension d’un réel que les mots seuls peinent à transmettre. L’art permet ainsi de révéler l’horreur, non pas en l’exposant directement mais en la réinventant pour que l’on puisse mieux la saisir. Ainsi, l’imaginarie devient paradoxalement plus accessible que le réel, et c’est en cela qu’il joue un rôle crucial dans
le devoir de mémoire.

Les élèves ont été touchés par l’histoire qu’ils avaient lue en classe avec leurs professeurs de français grâce au travail sur la voix et à la sobriété de la mise en scène permettant un écho retentissant des mots et amplifiant la signification des lettres qui tout à coup s’incarnaient sous leurs yeux.


